L’ASTED est heureuse de vous présenter la deuxième capsule de la série historique sur les milieux documentaires au Québec. Permettez-nous de vous présenter à nouveau Monsieur François Séguin, qui a inauguré cette série avec une capsule sur la bibliothèque de Maisonneuve, dont il fut responsable pendant 25 ans. Il traite, ici encore, d’un sujet abordé dans son livre : D’obscurantisme et de lumières : La bibliothèque publique au Québec, des origines au 21e siècle (Hurtubise, 2016) [Page du livre sur le site de l’éditeur].
1779 : LA NAISSANCE DE LA LECTURE PUBLIQUE AU QUÉBEC. LA FONDATION DE LA BIBLIOTHÈQUE DE QUÉBEC (QUEBEC LIBRARY)
Durant le Régime français, aucun établissement de lecture publique ne vit le jour en Nouvelle-France. Il fallut attendre le début de l’occupation anglaise avant que l’idée de fonder une première bibliothèque publique au Québec commençât à faire son chemin. En fait foi un petit texte paru en 1778 dans la Gazette du commerce et littéraire, pour la ville et district de Montréal : « Déjà l’émulation commence à faire sentir ses aiguillons : déjà l’aurore du bon goût qui perce à travers les ténèbres des préjugés, nous réveille du sommeil léthargique où nous étions plongés : nous commençons à sentir les impressions de la lecture des Livres choisis dont quelques Particuliers enrichissent le Pays ; mais en trop petit nombre pour être comparés à l’utilité que l’on pourroit retirer des Bibliothèques publiques qui devroient se trouver dans nos Villes. »
Après la Conquête, le gouverneur de la Province de Québec, Sir Frederick Haldimand, cherchait à infléchir en faveur de la Couronne britannique l’opinion et les valeurs des Canadiens français, en particulier celles de l’élite. C’est dans ce contexte qu’il élabora un projet de bibliothèque publique bilingue. Sa résolution à mener à terme son projet fut telle qu’une fois établie, on surnomma « bibliothèque d’Haldimand » la Bibliothèque de Québec (BQ).
Haldimand était conscient que le clergé catholique constituait l’institution la plus influente auprès des Canadiens français ; pragmatique, il ne se priverait pas de l’associer à son projet de bibliothèque, ce qui lui conférerait une aura de légitimité : « Une souscription a été commencée afin d’établir une BIBLIOTHEQUE PUBLIQUE pour la ville de Québec. Le projet a été approuvé par Son Excellence le Gouverneur et Monseigneur l’Évêque », soulignait l’appel à des souscripteurs publié le 7 janvier 1779 dans la Gazette de Québec.
Le corps ecclésiastique n’avait pas appuyé sans barguigner le projet de bibliothèque promu par les autorités coloniales, ce type d’établissement suscitant la méfiance, en particulier dans ses hautes instances. « Je vous avoue, Monseigneur, que si je contribue à cet établissement, ce ne serait qu’à contrecœur, et par un pur motif de politique chrétienne », arguait, dans une lettre à Mgr Jean-Olivier Briand, le supérieur des sulpiciens de Montréal, Étienne Montgolfier. « Je suis intimement convaincu, continuait-il, que dans tous les établissements de l’imprimerie et de bibliothèque publique, quoiqu’ils aient en eux-mêmes quelque chose de bon, il y a toujours plus de mauvais que de bon, et qu’ils font plus de mal que de bien, même dans les lieux où il y a une certaine police pour la conservation de la foi et des bonnes mœurs. » Soit dit en passant, Montgolfier était l’oncle des deux inventeurs de la montgolfière, le légendaire aérostat.
En contrepartie de son soutien au projet de bibliothèque, Mgr Briand avait probablement obtenu des autorités britanniques quelque assurance quant à la nature des collections que contiendrait l’institution. D’ailleurs, le 15 janvier 1779, lors de la première assemblée des souscripteurs, il fut résolu que des mesures fussent prises pour s’assurer que la bibliothèque n’inclût « aucun Livre contraire à la Religion et aux bonnes Moeurs ».
Néanmoins, la censure ne semble pas s’être exercée de façon stricte. Sinon, comment expliquer que le catalogue de 1796 de la BQ contienne les œuvres en 40 volumes de Voltaire, un philosophe dont le nom est associé au combat contre l’intolérance et pour la liberté de penser; un écrivain exécré des autorités ecclésiastiques. La bibliothèque contenait aussi l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (35 volumes) d’Alembert et de Diderot — un manifeste pour la pensée rationnelle qui mettait en doute les fondements de la foi religieuse — ainsi que les œuvres (23 volumes) de Jean-Jacques Rousseau. Des auteurs inscrits à l’Index des livres prohibés par l’Église catholique.
La bibliothèque n’ouvrit ses portes que le 15 novembre 1783, et ce, en raison de la difficulté à s’approvisionner en livres français.
Grâce au catalogue de 1785, il est possible de se faire une bonne idée du contenu de la collection de la BQ à ses débuts. Sur les 1 815 volumes qu’elle contenait, 814 étaient en langue anglaise et 1 001 en français. Les livres en langue française se retrouvaient principalement sous les rubriques Histoire, mémoires, voyage, 258 ou 26 % du total ; Littérature, poésie et théâtre, 339 ou 34 % du total ; Loi et gouvernement, 108 ou 11 % de la collection. Soulignons que sous cette dernière rubrique la collection en langue anglaise ne contenait que 20 ouvrages. Cette situation était en phase avec la volonté du gouverneur Haldimand de faire connaître aux Canadiens français les bienfaits de l’administration et des lois coloniales britanniques.
Si en 1785, 55 % des livres de la BQ étaient en langue française, ce ratio ne serait plus que de 13 % en 1844. Pourtant, dans les années 1840 les locuteurs francophones formaient quelque 60 % de la population de Québec. L’intérêt de la bibliothèque pour les ouvrages en français avait commencé à s’étioler dès que le gouverneur Haldimand ne fut plus en fonction (1786).
En 1822, alors qu’elle quittait le palais épiscopal pour occuper de nouveaux locaux, rue Saint-Pierre, dans la Basse-Ville de Québec, la BQ comptait 4 000 volumes, soit 2 185 de plus qu’en 1785 ; ce qui représentait une augmentation annuelle moyenne de seulement 59 volumes. En proie à des difficultés budgétaires, elle n’arrivait plus à mettre à la disposition du bibliothécaire François Romain les ressources documentaires qui lui eussent permis d’offrir un service de qualité aux souscripteurs.
En 1823, impécunieuse, la BQ fut sauvée in extremis de la dissolution grâce à l’apport financier de quelques généreux donateurs. Toutefois, au début des années 1840, sa situation financière était devenue intenable : une fois payés le loyer, le salaire du bibliothécaire et quelques dépenses de fonctionnement, il ne restait plus de budget pour l’achat de documents. Aux abois, elle dut louer ses collections à l’Association de la Bibliothèque de Québec (ABQ). En 1845, la BQ et l’ABQ fusionnèrent.
La BQ avait vécu.
En 1866, les collections de l’ABQ étaient vendues pour la somme de 500 $ à la Literary and Historical Society of Quebec (LHSQ). Cet organisme possédait une bibliothèque depuis 1830. La LHSQ existe toujours ; elle loge dans l’édifice du Morrin College à Québec ; elle est la plus ancienne société savante de langue anglaise à l’extérieur des îles britanniques.
Vous retrouverez le début de cette chronique dans l’infolettre de l’ASTED du 5 juin 2018 (Vol. 6, no. 2). Elle est également parue sous forme d’article sur la page Facebook de l’ASTED : Capsule historique # 2.
Si vous avez des idées de capsules historiques à nous communiquer, prière d’envoyer un courriel à Fabrice Marcoux, chargé de projets spéciaux à l’ASTED.
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